Elle n’a pas choisi le restaurant le plus germanopratin de la capitale. Tables en bois, miroirs au tain piqué, luminaires suspendus : La Tour de Nesle, dans le 15e arrondissement, ressemble plutôt à une brasserie parisienne de la fin du siècle dernier. Le genre où l’on trouve des rognons sur la carte. « J’y ai mes habitudes », raconte Lilia Hassaine. Début 2023, tous les matins à 8 heures pétantes, elle venait prendre son petit-déjeuner – tartines beurre confiture, croissant, chocolat chaud, jus d’orange frais. Puis elle restait jusqu’à l’heure du déjeuner, pour déguster des lentilles, ou un burger. « Des plats qui me font plaisir. J’aime manger quand j’écris. » Avant de promener l’après-midi sa chienne Suki, shiba inu de 2 ans.
C’est grâce à cette routine qu’elle a achevé Panorama, son troisième roman chez Gallimard, publié à la rentrée littéraire. Le récit nous plonge dans un monde futuriste où les maisons sont en verre. Tout le monde peut épier – et dénoncer – son voisin. Dans cette France à la Minority Report, où le crime n’existe quasiment plus, une famille disparaît. Et si l’utopie sécuritaire tournait court ? Panorama est un livre sur la grande idée de l’époque : la transparence. « C’est un mot qui s’insère partout, pris comme une notion positive, raconte Lilia Hassaine. Transparence politique, dans les relations amicales, amoureuses... J’avais envie d’interroger ça. »
Logique pour la discrète trentenaire : « J’écris des romans. Ce que j’ai à dire, c’est sous cette forme. Je fais le pari de la fiction. » Le jaune de sa robe se confond avec celui du velours des chaises, ses longs cheveux noirs dissimulent son visage. Nous sommes cachés à la table qu’elle a spécialement réservée, dans un coin du restaurant. Celle-là même où elle a écrit, et dont elle apprécie la vue – panoramique, bien sûr. Devant la carte, Lilia Hassaine n’hésite pas longtemps. Elle commande les coquillettes – à la truffe, s’il vous plaît. Un plat gourmand, réconfortant, qui donne le courage de se raconter, pour une fois.
Mannequin chez Gaultier
Elle a grandi en région parisienne (Essonne et Val-de-Marne). Bac en poche à 17 ans, elle traverse le périphérique et débarque en classe prépa dans les prestigieux lycées Louis-le-Grand et Fénelon. Lilia Hassaine rêve déjà d’écrire un roman, « un jour ». En attendant, elle loupe Normale Sup’ (malgré un 18/20 en littérature) et trouve un métier : journaliste. Elle participe en 2012 au Monde Académie, un concours pour jeunes talents organisé par le quotidien. Sans contact dans le milieu, mais avec une sacrée plume, elle envoie un article intitulé « 120 jours dans la peau d’une serveuse ». Elle y raconte son job d’été dans une brasserie parisienne – le genre où nous sommes. Le texte séduit et la voilà pigiste au Monde, pour des reportages et enquêtes. Elle intègre l’année suivante l’Institut français de presse, une école de journalisme parisienne, et se tourne en 2015 vers la télévision après un stage à Arte. « On vit dans une société d’images. Je n’ai pas écrit Panorama pour rien. »
Elle décroche un poste au « Petit journal » de Yann Barthès, rebaptisé « Quotidien » en passant de Canal+ à TMC en 2016. Elle prépare l’émission dans l’ombre des autres journalistes, avant de goûter à la lumière en 2017. Premier prime animé par le globe-trotteur du programme, Martin Weill, consacré à Donald Trump. « Je savais que je serais exposée au regard du public, qui voit débarquer de nulle part une jeune femme... C’est compliqué, mais ça forge. » Après cela, elle s’impose en plateau, où on lui laisse « carte blanche », et passe tous les jours devant la caméra pour décrypter l’actualité. N’est-ce pas l’inverse de sa nature discrète ? « Je cherchais des informations la journée dont je rendais compte le soir. Après l’avoir fait pour d’autres, j’étais contente de présenter mon travail moi-même. Sans avoir le sentiment de devoir donner plus que ça, des détails de ma vie : je n’étais pas là pour gagner des abonnés Instagram. »
Elle finit sa généreuse portion de coquillettes sur les bons souvenirs, les défis d’une émission quotidienne et les surprises de la célébrité – elle sera mannequin le temps d’un défilé pour Jean Paul Gaultier, lors d’une Fashion Week en 2019. Le serveur nous interrompt. Finir le repas sur une note sucrée ? Lilia Hassaine sourit. Pour le dessert peut-être, mais surtout parce que nous abordons sa passion : la littérature.
Après quatre ans d’écriture, son premier roman L’Œil du paon est repéré par Ludovic Escande, qui l’édite dans la célèbre collection « Blanche » de Gallimard en octobre 2019. L’histoire d’une jeune Croate qui abandonne son île, direction Paris, pour échapper à une malédiction. Deux ans plus tard sort Soleil amer, sublime fresque de 1959 à 1997 d'une famille algérienne dans la France des HLM, qui fait partie de la première sélection du prix Goncourt et arrive en finale du Goncourt des lycéens.
Lilia Hassaine fait son entrée en littérature et prépare sa sortie de « Quotidien », prenant ainsi le chemin inverse de ces écrivains d’un certain âge qui pérorent sur les plateaux télé, avec un avis brillant sur tout. Devenue une star du petit écran, elle quitte TMC à la fin de la saison 2022. Après un an et demi à tourner et retourner l’idée de Panorama, elle a senti son heure venir. « J’étais complètement habitée par cette histoire. Ça aurait parasité mon travail de journaliste – ce n’était pas responsable de continuer. »
Option cinéma
Elle plonge sa cuillère dans le dessert du jour, une tarte normande. Région où l’écrivaine vit désormais la moitié du temps. « À Paris, il y a beaucoup de sollicitations. Pour créer, j’ai besoin de m’isoler », dit-elle, équilibriste, récusant l’idée romantique de l’écrivain dans sa tour d’ivoire. Et sans renier le journalisme : « L’actualité me nourrit. Je me souviens par exemple de l’interview sur France Inter du prêtre Matthieu Dauchez, qui racontait avoir fondé à Manille un orphelinat vitré pour protéger les enfants et se protéger des soupçons de pédophilie. J’y ai fait un clin d’œil dans Panorama. »
« Un café, demande le serveur ? – Non merci. » Elle pourrait pourtant en avoir besoin, maintenant que s’ouvre le marathon de la promotion de son livre. Cela semble bien engagé : Panorama est dans la sélection du prix Fnac, et il se murmure que le roman intéresse déjà des producteurs pour le cinéma... Se lance-t-elle en parallèle dans l’écriture d’un quatrième roman ? Pas tout de suite. Des propositions pour la télévision, alors ? Elle rit pudiquement. On imagine que oui, mais on n’en saura pas plus. Lorsque la secrète Lilia Hassaine se lève pour partir, on remarque son ventre arrondi. Et on comprend qu’elle a bien d’autres choses en tête.
Panorama, éditions Gallimard
France, 2049
Ce serait donc ça, le monde de la « Transparence » ? Des habitations entièrement vitrées, des citoyens qui votent directement les lois , des accusés qui doivent prouver leur innocence ? Dans Panorama, Lilia Hassaine décrit une ère post- « Revenge Week », semaine fatidique durant laquelle des victimes se sont fait justice elles-mêmes. Un polar anxiogène, peignant une société de demain en écho avec celle d’aujourd’hui.
Author: Carol Walton
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Name: Carol Walton
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Hobby: Sewing, Fencing, Yoga, Magic Tricks, Traveling, Running, Skateboarding
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